Comment ont-ils pu attirer à Arcachon une impératrice, des rois, des reines, des princes, des ducs, des marquis, des financiers, de riches industriels, de grands artistes ? La réponse est qu’ils appliquaient ce qui est devenu une des règles de base du marketing : Ils « vendaient du rêve ». Ils avaient créé un environnement de rêve, louaient des villas, vendaient des terrains mais l’essentiel était le rêve qui les entourait.
Nous avons vu que depuis deux mille ans, la villa reposait sur un imaginaire d’évasion, donc de rêve, mais quelles sont les autres caractéristiques qui font de la villa un remarquable support de rêve ?
2 – La villa repose toujours sur une idéalisation de la nature
Elle y est insérée et est conçue pour vivre au milieu de cette nature, par ailleurs supposée pure, grâce à de nombreux aménagements et espaces intermédiaires entre l’intérieur et l’extérieur : bow-window, véranda, terrasse, balcon . . . donnant sur la nature ou un jardin paysagé suffisamment grand pour en donner l’impression.
Le caractère apaisant du contact avec la nature est bien connu depuis longtemps, il explique que les propriétaires viennent s’y ressourcer, rompre avec les soucis, évacuer le stress de la vie urbaine et là est la principale différence entre une villa et une maison de ville.
La nature, c’est bien entendu la végétation, la forêt, mais, à Arcachon, c’est aussi la mer dont la vue va déclencher plus ou moins consciemment des émotions, des souvenirs, des rêves. Il faut se rappeler que la mer était vue autrefois comme un univers hostile, dangereux, peuplé de monstres, quand ce n’était pas le domaine de Satan. Cette image ne disparut vraiment qu’au 18ème siècle et elle a laissé des traces dans notre culture avec des images très fortes de tempêtes et de naufrages.
Lorsque c’est possible, un belvédère ou une terrasse haute ayant vue sur l’horizon, et particulièrement sur la mer avec les bateaux, la vue d’un phare, comme celui du Cap-Ferret, incitera fortement à la contemplation, à la méditation, au rêve.
Mais la mer, c’est aussi la fascination de l’homme devant le mouvement de l’eau. Regardé d’une véranda ou d’un bow-window les jours de mauvais temps, le spectacle de la vague toute proche qui s’élance à l’assaut du rivage puis reflue et laisse la place à la suivante stimulera fortement la méditation, le rêve. Hors saison, c’est un des principaux atouts des villas de bord de mer.
3 – La villa représente son propriétaire.
Rappelons-nous ce qu’est une villa moderne : C’est essentiellement une résidence unifamiliale à l’architecture recherchée (et qui s’oppose à la ville par son insertion dans le jardin, le paysage).
La villa avec son jardin est à l’image de son propriétaire, au moins de celle qu’il veut donner. Elle est le reflet de son statut social, sa personnalité, sa culture, ses goûts, ses rêves, d’autant plus qu’une compétition amicale va opposer les voisins, amis et autres relations. Cela peut la rendre démesurée ou extravagante et le terme de folie utilisé au 19ème siècle était souvent justifié.
Elle est toujours la réalisation d’un rêve, plus ou moins conscient de celui qui l’a faite construire ou l’a acquise et qui la conserve dans son état initial ou la transforme pour qu’elle soit plus conforme à son rêve.
Le projet d’un propriétaire est évidement différent selon qu’il fait construire ou achète Teresa, Castellamare ou Les Luz, trois villas qui affichent fièrement leur caractère :
Teresa a manifestement été conçue sur une idée médiévale avec une tour qui la rend très asymétrique, des toits très pentus avec de grandes souches de cheminées, de la couleur soulignant les ouvertures et chainages d’angle. Sa beauté et son style sont très marqués. Est-ce la villa d’un passionné du Moyen Age? d’un amateur de couleurs vives? d’un bourgeois qui affirme sa réussite au 19ème siècle? Il y a évidement un rêve derrière cette architecture.
Castellamare, située juste en face, est à l’opposé, inspirée par l’architecture classique des 17ème et 18ème siècles, blanche comme Versailles, le toit caché par une balustrade, rigoureusement symétrique.
Est-ce la villa d’un noble ou d’un royaliste? d’un passionné de l’antiquité gréco-romaine? ou simplement d’un puriste préférant le blanc à la couleur ? Là encore, nous avons un désir.
Les Luz, avec ses pans de bois, son toit à faible pente, sa sobriété nuancée par ses dimensions importantes, sa couleur blanche, est d’inspiration néo-basque. Faut-il y voir la marque d’un attachement régional, d’un retour aux valeurs traditionnelles de la province, d’une volonté très moderne de sobriété au milieu de la nature? Comme dans les cas précédents, nous manquons d’éléments pour choisir, mais un rêve est sous-jacent.
Deux remarques s’imposent au passage pour nous qui essayons de comprendre les raisons du succès d’Arcachon et qui avons la chance de pouvoir regarder cent cinquante ans en arrière :
* Le style d’une villa dépend plus du rêve de celui qui l’a faite construire que de l’époque de la construction. Castellamare, construite vers 1930, est postérieure à Kypris, la villa Art Déco dont nous parlerons dans une prochaine chronique et qui nous apparait beaucoup plus moderne.
* Ceux qui ont acheté une villa déjà construite et insérée dans un jardin ont eu des rêves éventuellement différents. Certains ont conservé leur villa et son jardin dans son état, d’autres l’ont améliorée, d’autre encore, en s’aidant de plans ou de photos anciennes ont cherché à retrouver l’état initial. Leur choix personnel est-il critiquable ? L’essentiel n’est-il pas que le nouveau propriétaire s’approprie sa villa, y intègre sa personnalité, ses désirs et que le rêve se poursuive ?
En conclusion, on pourrait penser qu’en s’orientant vers des villas les frères Pereire ne pouvaient pas se tromper puisque, depuis deux mille ans, les villas faisaient rêver leurs propriétaires. En réalité, face à la concurrence des autres stations balnéaires dont certaines, plus anciennes, étaient déjà réputées, il leur fallait faire encore mieux et trouver les meilleurs sujets de rêve pour attirer la clientèle fortunée de leur époque. La tâche n’était pas simple.
Dans la prochaine chronique, nous examinerons quels étaient les thèmes les plus porteurs dans la deuxième moitié du 19ème siècle sachant que, dans ce domaine comme dans d’autres, la personnalité et les goûts de chacun priment sur la valeur dominante à un moment donné.
Francis Hannoyer