Les réflexions qui suivent s’adressent aux Arcachonnaises et aux Arcachonnais. Elles ont pour ambition de contribuer à la réflexion commune sur le devenir de notre ville.
Pour évaluer au mieux la situation actuelle le choix a été fait de la placer dans un double contexte : contexte historique, en premier lieu, afin de faire connaitre les nombreuses ressources que les générations qui nous ont précédé ont su développer et qui ont donné à Arcachon un visage bien différent de celui que nous lui connaissons aujourd’hui ; contexte local et régional, ensuite, pour apprécier les différences qui marquent l’évolution de notre ville comparée à celles de son voisinage immédiat ou de villes de la région de situation et de profil comparables.
1. ARCACHON : Grandeur et décadence ?
De sa création en 1857 et le prolongement de la voie ferrée depuis La Teste, jusqu’au début des années 1970, Arcachon présente un visage bien différent de celui que nous lui connaissons aujourd’hui.
1.1 Une station destinée principalement à une clientèle fortunée présente toute l’année
Si les 3 principaux groupes de population que la ville connait encore de nos jours, résidents principaux (permanents; population active et retraités, dont le principal centre de vie et d’activité est à Arcachon), résidents secondaires (principalement saisonniers réguliers, pour lesquels la ville est surtout un centre de loisirs et de repos), et touristes (gens de passage pour de courts séjours, épisodiques et souvent uniques), sont bien présents dès l’origine, leur importance et leur poids respectif dans la vie de la cité sont bien différents de ce qu’ils sont aujourd’hui.
La composition sociologique des trois groupes est également différente. Le tourisme de passage et de courts séjours est d’abord marginal -jusqu’à l’arrivée des congés payés-, principalement alimenté par « les trains de plaisir » des fins de semaine. Pour ce qui est des résidents secondaires, avec sa réputation de station balnéaire et de ville de cure (climatique puis thermale), les magnifiques résidences du Front de mer et de la Ville d’hiver et ses « étrangers de distinction », Arcachon draine pendant plusieurs décennies une population fortunée qui alimente à son apogée boutiques et vie nocturne (casinos, théâtre, cafés-concerts, restaurants et hôtels), et attire de nombreux artistes (Gounod, Toulouse-Lautrec, d’Annunzio, Jean Balde, et bien d’autres), ainsi que toute une aristocratie qu’elle dispute à Royan et, surtout, à sa contemporaine et rivale d’alors, Biarritz.
1.2 Une ville jeune et dynamique
Devenue une villégiature réputée, Arcachon compte au début du 20ème siècle un millier de villas, une quinzaine d’hôtels, un grand nombre de commerces, et accueille annuellement plus de 200 000 personnes. C’est également une ville jeune, dynamique et sportive avec ses sociétés de gymnastique (« Tout pour la Patrie » ; « Les enfants d’Arcachon »), d’aviron, ses terrains de tennis, stand de tir, stade, golf, que complèteront dans l’entre-deux-guerres, un vélodrome et un fronton de pelote basque, puis plus tard bowling et patinoire… Un guide officiel d’Arcachon de l’époque recense 7 cinémas, 5 salles de spectacle, 2 casinos, 14 médecins généralistes, 10 dentistes et 7 spécialistes…Au milieu du 20ème siècle, avec son hôpital, ses 2 cliniques privées (Notre-Dame et l’institut Lalesque-Cuenot qui deviendra la clinique Lacaze), ses préventoriums, Arcachon offre également toute la gamme des soins de santé et spécialités.
1.3 Un quartier conçu pour l’hiver et un patrimoine architectural et paysager exceptionnel
Dès son origine dans les années 1860, le développement de la Ville d’hiver a été conçu afin de compléter l’attractivité d’Arcachon hors saison d’été par son activité de ville climatique et de cure. La notoriété d’Arcachon s’en trouve accrue et les premiers chalets construits drainent une riche clientèle venue de tous horizons (France, Hollande, Pologne, Russie, Angleterre, Ecosse…) [1]
Cette population fortunée a fait construire et personnalisé sa villa afin d’en faire le reflet de son statut social, sa culture ou ses goûts. Une compétition s’est établie entre voisins qui a fortement contribué à la qualité de l’architecture et des paysages. Elle a aussi influencé les classes moyennes qui se sont inspirées des grandes villas pour leurs maisons, donnant naissance à ce qui est encore aujourd’hui communément appelé « arcachonnaises ». Cela a contribué à donner une unité architecturale et paysagère de grande qualité que l’on retrouve encore dans certains quartiers de la ville (Ville d’hiver, notamment).
1.4 Une ville artisanale et industrielle autour de la pêche puis de la plaisance
Mais, et c’est sans doute ici le point le plus important, la vie d’Arcachon ne s’arrête pas à ces activités de cure et de construction de villas Jusqu’aux années 70, Arcachon est une ville artisanale et industrielle et l’un des tout premiers ports de pêche français.
Les pêcheries d’Arcachon sont alors propriétaires de toute la chaine des équipements portuaires et commerciaux, appontements, ateliers de réparation, parcs à charbon, conserveries, fabriques de glace, et comptent une quarantaine de chalutiers de moyen tonnage (les deux derniers ont été désarmés en 1969). La production atteint 10 000 tonnes en 1939 ; elle est vendue sur tous les marchés du midi de la France et de la région parisienne et alimente une dizaine de conserveries.
La seconde guerre mondiale marquera une première évolution avec le déclin de la pêche industrielle et la quasi-disparition des conserveries. La construction navale de plaisance devient alors l’activité industrielle dominante. Avec ses branches annexes, fabrication et réparation de moteurs marins, mécanique, éléments de bois, accastillage, elle regroupe près d’un millier d’actifs dans une cinquantaine d’établissements. Quelques entreprises importantes (Couach, Castelnau, Arcoa, Matonnat, Bonnin, Auroux) jouent un rôle de premier plan sur le marché national.
Plusieurs établissements industriels et commerciaux complètent le marché de l’emploi, la Source des Abatilles, l’usine à gaz qui deviendra GdF- EdF, la Compagnie des Eaux, la société de autocars Bonnefon, les déménageurs et transporteurs (Mery, Morlin), ainsi qu’une bonne dizaine de concessionnaires automobiles (Peugeot, Citroën, Austin, Panhard, Ford, Simca, Renault…)
En 1968, le total des effectifs travaillant dans des établissements industriels s’élève à 4 352 personnes et la proportion d’actifs dans l’industrie (30%) place l’agglomération dans le groupe de tête des villes moyennes d’Aquitaine.
Cet aspect est sans doute aujourd’hui l’un des plus méconnus de l’histoire de la ville.
2. ARCACHON vers le tourisme de masse.
2.1 Le rejet de l’activité climatique
A partir de la fin des années 1920, beaucoup d’Arcachonnais craignent que la présence de malades pose des problèmes de contagion et fasse fuir les touristes. Ce n’était pas du tout le cas, les statistiques médicales de l’époque montraient d’ailleurs que la population d’Arcachon était nettement moins touchée par la tuberculose que la moyenne des Français. Face à cette crainte, la municipalité va décider en 1930 de ne plus accepter de malades contagieux. La Ville d’Hiver va progressivement s’endormir et l’activité climatique va fortement diminuer.
Une deuxième phase de rejet se produit après la 2ème guerre mondiale car la municipalité juge que la vue des malades, même non contagieux, est incompatible avec la promotion du tourisme. Cela se traduit, entre autres, par le départ en 1949 du préventorium St Vincent de Paul du cours Tartas vers celui du Moulleau, mais aussi le déménagement en 1958 (puis l’arrêt de son activité dans les maladies osseuses) de la clinique Lalesque-Cuénot dite « des Allongés », de son emplacement boulevard Veyrier-Montagnères vers un endroit moins touristique.
L’activité de cure, initiée par les frères Pereire et qui avait contribué au succès d’Arcachon, était quasiment abandonnée, et avec elle les emplois non saisonniers correspondants : médecins, infirmières, hébergement, etc.
2.2 Le vieillissement de la population sédentaire
Sans doute à cause de la chute des activités permanentes, l’INSEE constate dès 1962 une diminution du pourcentage de jeunes au profit des plus de 65 ans ainsi qu’un vieillissement de la population active.
Comme le montre le tableau ci-dessous, Arcachon, qui était encore en 1962 une ville dont la population sédentaire n’était pas très différente de la moyenne girondine, devient, à cette époque, moins favorable aux familles et donc aux jeunes, moins dynamique sans doute.
Classes d’âge | 1962 | 1968 | 1975 | Gironde 1975 |
0 – 19 ans | 28,4 % | 26,1 % | 22,2 % | 28,8% |
20 -64 ans | 52,6 % | 52,6 % | 52,2 % | 55,5 % |
65 ans et plus | 19 % | 21,3 % | 25, 6% | 15,8 % |
Source INSEE (Rapport de présentation du POS de 1981)
2.3 La politique nationale sur le tourisme
Dans les années 60, le Gouvernement s’inquiète fortement des sorties de devises liées aux Français qui partent en vacances en Espagne. En 1967 est créée une Mission Interministérielle pour l’Aménagement de la Côte Aquitaine (MIACA), avec comme objectif de développer le tourisme en été. L’idée est de créer une alternance entre zones denses (UPA) et zones vertes protégées.
La zone UPA 6 correspond au Sud Bassin et l’objectif pour Arcachon est de « densifier », « développer l’hébergement locatif », surtout les « meublés touristiques ».
La municipalité d’Arcachon va suivre les recommandations de la MIACA, le tourisme de masse estival est acté et les différents POS qui vont être décidés poursuivront cette tendance. Une forte réaction de la population et la création de l’ASSA en 1977 réussiront seulement à freiner et à limiter des mesures qui ne pouvaient conduire qu’au déclin d’Arcachon.
2.4 Les immeubles de résidences secondaires sur le front de mer et la destruction du patrimoine de la ville
Avec la disparition de l’emploi industriel et l’arrêt de l’activité de cure commence au tournant des années 70 une mutation profonde qui marque les 50 dernières années et l’évolution d’une activité économique productive vers la seule exploitation d’une rente de situation.
La transformation touche en premier lieu l’habitat. L’espace libéré par les chantiers maritimes et les friches industrielles, majoritairement situés sur le littoral, est progressivement récupéré afin de construire des immeubles destinés à abriter des familles aux revenus moyens/supérieurs, immeubles qui seront – et sont encore aujourd’hui- très largement occupés par une clientèle de résidents secondaires. Le phénomène se poursuivra de la sorte jusqu’au saccage du front de mer avec la démolition de magnifiques villas qui faisaient l’image de la ville et qui connaitront le même sort.
En 1968 encore, Arcachon est une ville où l’on vit : le nombre de résidences principales est près du double de celui des résidences secondaires et logements occasionnels (5288 contre 2901, voir ci-dessous) et la population s’élève à près de 15 000 personnes; 45 ans plus tard, en 2014, la situation est renversée (5904 contre 10775), ce qui signifie que le poids relatif des résidences secondaires et logements occasionnels a été multiplié par 4 par rapport à celui des résidences principales, situation qui s’avère dramatique pour la vie et la prospérité de la commune. Le phénomène de dépopulation qui en résulte dans de vastes zones de la cité pendant la majeure partie de l’année est encore amplifié par le fait que le taux moyen d’occupation par résidence principale chute de 2,7 à 1,7 personnes au cours la même période.
LOG T1 – | 1968(*) | 1975(*) | 1982 | 1990 | 1999 | 2009 | 2014 |
Ensemble | 9 015 | 9 547 | 11 638 | 13 483 | 15 278 | 16 339 | 17 051 |
Résidences principales | 5 288 | 5 428 | 5 989 | 5 797 | 6 018 | 6 448 | 5 904 |
Résidences secondaires et logements occasionnels | 2 901 | 3 073 | 4 723 | 7 010 | 8 714 | 9 363 | 10 775 |
Logements vacants | 826 | 1 046 | 926 | 676 | 546 | 528 | 371 |
Évolution du nombre de logement par catégories [2]:
FAM G1 – | 1968(*) | 1975(*) | 1982 | 1990 | 1999 | 2009 | 2014 |
Nombre moyen d’occupants par résidence principale | 2,7 | 2,5 | 2,2 | 1,9 | 1,8 | 1,7 | 1,7 |
Évolution de la taille des ménages [2]:
Dans le même temps la municipalité, avec le concours de l’office HLM, fait construire en périphérie de la localité des logements pour les familles arcachonnaises les plus modestes (Règue verte, Parc Bories, lotissement de l’Etoile, Arcachon-Marines, Grands Chênes). Les forces vives, les classes laborieuses, les ménages ouvriers, les familles et les plus jeunes, se trouvent ainsi progressivement repoussés à l’écart, avec la clientèle et la main-d’œuvre qu’ils représentent, vers La Teste et les communes voisines, modifiant en profondeur la sociologie de la ville qui se trouve de la sorte devenir de plus en plus dépendante des revenus que pourront ou non lui apporter les résidents occasionnels.
Les chiffres sont sans appel. A l’issue de cette évolution, en 2014, 63,2% des logements de la ville sont des résidences secondaires [2]
2.5 A Arcachon, plus on construit, plus la population baisse et vieillit
Cette évolution s’accompagne de la chute de la population résidente. Dans la période de l’après-guerre et jusqu’en 1965 la population arcachonnaise a suivi la tendance générale de croissance continue de l’ensemble du Bassin, jusqu’à atteindre 15820 habitants en 1962, connaissant dans le même temps un vif rajeunissement qui entraine une explosion des effectifs scolaires. [3]. A partir de cette date, qui correspond à l’engagement de l’évolution décrite précédemment, elle décroche et engage une chute qui ira s’accélérant, jusqu’à la conduire à 10 370 habitants en 2014, en forte régression de 9,36% par rapport au résultat du recensement précédent de 2009.
De la même façon la composition de la population arcachonnaise se dégrade. Aujourd’hui la pyramide des âges est inversée : la population résidente est toujours plus âgée et les jeunes de moins en moins nombreux : 48,1% de la population est âgée de 60 ans ou plus (chiffre à comparer au taux national de 21,6% et au taux départemental de 21,4%) ; les effectifs du collège de la ville, Marie Bartette, sont passés de 532 en 2005, à 486 en 2012, puis à 355 en 2017, soit une perte de 177 élèves (33% des effectifs) en 12 ans. A la rentrée 2018 le processus s’est poursuivi avec la suppression de deux classes supplémentaires et des effectifs qui chutent à nouveau à 340 élèves.
2.6 La comparaison avec d’autre stations balnéaires montre que ce déclin n’était pas inéluctable
Des voix se sont élevées pour dénoncer cette situation et réclamer une réflexion urgente afin d’inscrire l’avenir d’Arcachon dans une perspective économique et sociale différente : « Avec le départ des actifs chassés par la spéculation immobilière le repeuplement d’Arcachon par le moyen d’une urbanisation à outrance, mal ciblée et mal contrôlée, s’avère un échec patent » [4]. Elles n’ont guère été entendues. On leur a opposé le plus souvent que la situation que connait la ville résulterait de faits de notre temps, tels l’attractivité de la région et la pression foncière qui en résulte, faits qui affecteraient l’ensemble de la région et les municipalités de profil et situation semblables à celui d’Arcachon.
L’explication apparaît trop courte sur plus d’un point.
Pour ce qui est de la région, la pression foncière qui s’y exerce ne produit pas partout les mêmes effets, loin s’en faut. On constate en effet une pression foncière créatrice, porteuse de vie et d’activité, qui conduit à l’installation de population active et à l’ouverture de commerces et de services, en un processus vertueux qui s’autoalimente. Plusieurs communes du Bassin connaissent une telle situation : pour la période 2009-2014 la croissance démographique s’est poursuivie sur l’ensemble des communes du Bassin, de l’ordre de 6% pour les plus faibles (La Teste, Biganos ou Andernos), jusqu’à plus de 23% (Audenge).
Seule Arcachon fait exception, exception d’autant plus notable que la Gironde est le second département de France pour la croissance démographique (INSEE 2019). En dépit de la forte pression foncière, la population résidente décroit sur la même période, les commerces ferment les uns après les autres, et les services partent. En ce sens Arcachon subit tous les inconvénients de la situation que connait la région sans en retirer les avantages.
Sur le second point, il peut être utile de comparer la situation d’Arcachon à celle de municipalités de la région de profil et de situations comparables, comme Royan ou Biarritz. Pendant la période 1999-2004 Royan a vu sa population croitre de 6,06% pour atteindre 18 388 habitants. La vieille rivale, Biarritz, avec aujourd’hui 24 713 habitants (soit plus du double d’Arcachon…) a également suivi une période de croissance démographique constante jusqu’en 1999. Si elle marque aujourd’hui un fléchissement (-2,69% en 2014 par rapport à 2009), les analystes attribuent cette situation à une tendance à la saturation, situation dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas celle que connait d’Arcachon.
2.7 Aucun signe de volonté de redressement
Les données recueillies sanctionnent clairement la politique conduite à Arcachon en matière de développement. Pourtant, lorsque l’on observe les décisions et les choix qui marquent l’ensemble de la période, la situation n’apparaît pas avoir été de nature à inciter les édiles successifs à remettre en cause une telle approche, en dehors de quelques slogans de campagnes électorales sans suite.
Au contraire, la frénésie de construction s’est poursuivie et semble ne connaitre aucune limite. Les municipalités successives apparaissent engagées dans une fuite en avant dans l’urbanisation, avec le morcellement sans retenue des parcelles et l’accumulation des droits à construire qui ne peuvent que poursuivre et amplifier encore le processus négatif décrit ci-dessus. Il en résulte sans doute des revenus, taxes et charges qui permettent d’alimenter un budget municipal inflationniste et favorisent quelques intérêts privés, mais ne constituent en rien un moteur économique permettant de relancer Arcachon sur la voie d’un développement durable.
Un bon exemple de cette situation peut être donné par la réaction de la municipalité arcachonnaise aux nouvelles règles d’urbanisme fixées en 2014 par la loi ALUR. Celle-ci a substitué, pour l’élaboration du Plan Local d’Urbanisme de chaque municipalité, la prise en compte d’un Coefficient d’Emprise au Sol (CES) à celle du Coefficient d’Occupation au Sol (COS) précédemment utilisé. Concrètement, avec ce nouvel étalon, là où un COS de 30% sur une parcelle de 1000 m2 permettait la construction d’un maximum de 300 m2 de plancher quel que soit le nombre d’étages, un CES de même valeur permet la construction de 300 m2 par étage. Le maintien d’une urbanisation contrôlée exigeait donc le choix d’un CES réduit en conséquence du nombre d’étages autorisé dans chaque zone. Or ceci n’a pas été le cas à Arcachon et on peut d’ores et déjà en constater les effets dans les quartiers sensibles, au centre-ville ou à Pereire.
3. Incidences du tourisme de masse
3.1 Le tourisme bien maitrisé a un effet positif
Pour mesurer l’impact du tourisme sur la vie économique et sociale d’une ville ou d’une région, il convient de rapporter le nombre des touristes à celui de la population résidente. Les quelque 90 000 estivants qui envahissent Arcachon en été ont un impact sur la vie de la commune plus important que dans d’autres communes comme Royan ou Biarritz pour reprendre les exemples précédents, où les populations résidentes sont deux fois plus importantes. Cet impact est encore plus fort eu égard à la superficie réduite de la commune. Or, toutes les évaluations et études effectuées sur le sujet établissent que le tourisme a d’une manière générale un effet positif sur la vie économique, sociale et culturelle d’une cité ou d’une région, aussi longtemps que son poids dans la vie locale ne franchit pas un certain seuil, seuil au-delà duquel les effets pervers à moyen/long terme l’emportent sur les avantages immédiats. Cela apparaît être aujourd’hui la situation que connait Arcachon, qui passe en permanence d’une situation de saturation à une situation de dépeuplement avec tous les inconvénients économiques, sociaux et en termes de qualité de vie qui résultent de ces déséquilibres permanents.
3.2 Difficultés croissantes à se loger et régulation possible
A Arcachon l’afflux touristique massif en été a en premier lieu un effet négatif sur le marché locatif, en particulier les possibilités de logement à l’année ; la surenchère qui en résulte sur les prix des logements disponibles fait que l’offre locative se reporte sur le marché saisonnier plus lucratif, l’intérêt des bailleurs étant alors de conserver des logements vacants hors saison, ce qui les dissuade de consentir des baux locatifs normaux.
Le phénomène est encore amplifié par la multiplication des locations de courte durée à une clientèle de passage. Cette situation est aujourd’hui dénoncée dans un nombre croissant de municipalités, en France et hors de France, qui prennent des mesures afin d’en limiter l’effet : Paris, Annecy, Aix-en-Provence, Biarritz, Bordeaux, Cannes, Lyon, Nice, Strasbourg, Toulouse, Tours ont mis en place des dispositifs visant à protéger l’offre locative au bénéfice de la population résidente :
Dans le cas d’une résidence principale, ou d’une partie de celle-ci, la location doit faire l’objet d’une déclaration en mairie avec enregistrement et attribution d’un numéro de déclaration, procédure qui vise à s’assurer que le total des locations n’excède pas 120 jours dans l’année, ceci afin de protéger les professionnels de l’hôtellerie contre les dérives qui sont apparues de la part de certains bailleurs ;
Dans le cas d’une résidence secondaire (meublés de tourisme, gîtes), à Bordeaux notamment, la mise location est soumise à autorisation préalable de la mairie et conditionnée par la mise en œuvre d’une « procédure de changement d’usage», qui prévoit compensation afin d’éviter l’assèchement du marché locatif destiné aux résidents: suivant le quartier, obligation est faite au bailleur de mettre sur le marché un nouveau local équivalent à celui offert en location de courte durée, qui soit situé dans la même zone et dont la destination initiale n’était pas le logement (et ceci à l’exclusion de l’acquisition d’un logement neuf ou du résultat du partage d’un logement existant en plusieurs logements plus petits; voir ci-après annexe 1). Il apparaît aujourd’hui fondé qu’Arcachon se dote d’un dispositif semblable afin de remédier aux importants déséquilibres de son marché locatif.
3.3 La chute de la population nuit au commerce
Cette situation contribue à la chute de la population résidente, en particulier la population active et les familles qui ne trouvent plus les logements à prix raisonnables dont elles auraient besoin pour s’installer à Arcachon et y vivre, y compris alors qu’elles exercent leur activité sur Arcachon. Il n’est que d’observer le flux du trafic sur les voies d’accès à Arcachon à l’heure d’embauche le matin pour s’en convaincre. Le tout se solde par la multiplication d’appartements vides hors saison, situation qui contribue à son tour à provoquer le départ des commerces et services qui ne trouvent plus sur place la clientèle nécessaire pour survivre. La liste de ceux qui au cours des 20 dernières années ont fermé ou quitté Arcachon pour se réinstaller en dehors de la commune est longue. Pour ceux qui restent un nombre important optent pour la fermeture hors saison et des baux commerciaux dérogatoires (baux saisonniers de 3 à 6 mois). Ceci a à son tour un effet sur l’emploi, ces commerces recourant à l’embauche de personnel saisonnier et à des emplois précaires au détriment des emplois permanents. Les chiffres publiés par Pôle Emploi (Sud-Ouest du 17 avril 2019) font état d’un accroissement du chômage de 2,2% en 2018 pour le sud-Bassin, dans un département pourtant en croissance générale de l’emploi, et d’un taux de 14% seulement de CDI des retours à l’emploi.
3.4 Les professionnels de santé quittent Arcachon
De la même façon cette situation a un effet négatif sur la disponibilité à Arcachon de locaux à prix raisonnables pour bureaux et activités tertiaires. Un exemple peut être trouvé avec les services de santé et professions paramédicales. En dépit de l’âge moyen élevé d’une population résidente principalement constituée de retraités au haut niveau de vie qui assure l’existence d’une clientèle, nombre de ces services ont migré vers les communes voisines –principalement La Teste de Buch- où ils trouvent à s’installer dans de meilleures conditions, ce qui affecte négativement la population arcachonnaise contrainte de se déplacer pour ses besoins. Par ailleurs, ici encore, il est frappant de constater que lorsqu’ils conservent leur activité sur Arcachon beaucoup de ces professionnels vivent en dehors de la ville, au détriment de leur qualité de vie –ne serait-ce que les complications liées aux déplacements-, et de l’intérêt de la commune qui perd de la sorte une population résidente qui lui fait défaut. La même situation peut être observée dans tout un ensemble de services.
3.5 L’hôtellerie est en difficulté
La situation de l’hôtellerie n’est pas meilleure, qui doit trouver un équilibre dans ces conditions. La poursuite de l’accroissement du nombre de structures et de résidences hôtelières ne fait qu’aggraver le phénomène : l’apparition de chaque nouvel établissement a pour effet d’augmenter encore la population touristique en saison alors qu’elle est déjà excédentaire, et contribue hors saison à déstabiliser les établissements existants qui peinent à survivre. L’intervention dans ce domaine de groupes d’investisseurs immobiliers ne manque pas d’interroger, certains d’entre eux pouvant avoir comme stratégie de repli, si ce n’est comme objectif final non déclaré, la conversion des locaux en immeubles d’appartements. La multiplication de résidences hôtelières contribue notablement à cela.
A cet égard, il apparait tout à fait nécessaire qu’un coup d’arrêt soit donné à un certain affairisme financier qui s’exerce au travers de la construction d’appartements haut de gamme que leurs prix très élevés destinent à une clientèle fortunée et sur lesquels sont réalisées les plus grandes marges de profit. Ces appartements sont occupés par leurs propriétaires au mieux quelques semaines dans l’année, et bien souvent placés sur le marché des meublés de tourisme. De telles opérations contribuent à assécher le marché déjà étroit de l’immobilier de la ville, s’exercent au détriment des besoins de la population résidente et nuisent à la vie de la cité.
3.6 Des nuisances importantes en saison, mais aussi hors saison
Pour ce qui est de la qualité de vie, parmi les principaux sujets d’insatisfaction des résidents figurent l’envahissement de la commune en haute saison par une population dont le nombre et certains comportements (nuisances, bruit) posent problèmes, avec en tête de liste, les questions de circulation –totalement congestionnée à certaines périodes de l’année- et du stationnement.
Aux doléances régulièrement exprimées par la population, notamment dans les réunions de quartier, il est répondu en minimisant l’impact d’une situation qui n’existerait que pour une période de quelque six semaines dans l’année. S’il est bien exact que l’afflux massif de touristes n’a lieu que pour une période limitée de temps, ses effets impactent fortement et durablement la vie de la ville. Arcachon rencontre en effet des problèmes chroniques qui ne sont pas normaux pour une municipalité de 10 000 habitants. Le fait est que contrainte d’aménager les lieux pour faire face à l’afflux massif de population qu’elle draine en haute saison, la municipalité a fait des choix structurels dont les conséquences sont subies par les Arcachonnais à l’année, alors même que la situation ne les justifie plus et qu’ils ont un effet négatif sur leur vie quotidienne. Ceci est en particulier vrai pour les problèmes de circulation et de stationnement, mais aussi sur la qualité de l’environnement paysager qui souffre d’une densification trop importante. Est-il fondé d’aménager la cité pour accueillir 100 000 personnes pendant 6 semaines, quitte à en faire subir les conséquences à la population résidente pendant les dix autres mois de l’année ?
La saturation des lieux, les dommages aux infrastructures, à l’environnement et les pollutions qui en résultent sont perceptibles dans de nombreux domaines de la vie quotidienne, et des dangers guettent : pour ne citer qu’un exemple significatif, le 30 juillet 2018 le site du ministère de la Santé indiquait qu’à la plage Péreire, la qualité de l’eau de baignade affichait un taux de streptocoques fécaux de 1798 unités pour 100ml, soit plus de 4 fois supérieur au seuil de la catégorie « moyen » à « mauvais », fixé à 370 unités pour 100ml (voir annexe 2). L’environnement comme la saturation des équipements dont est dotée la ville montrent ici que le seuil d’alerte est atteint. Imagine-t ’on l’effet d’image dévastateur qu’aurait l’obligation de fermer en pleine saison une plage emblématique de la ville, privilégiée par les familles avec de jeunes enfants, pour un tel motif ? Attend-on d’en être arrivés là pour pleurer sur le lait renversé ?
3.7 Des difficultés importantes pour vivre à Arcachon
Aujourd’hui les différents groupes de population rencontrent des difficultés pour vivre à Arcachon. Pour ce qui est de la population active la difficulté majeure est, on l’a vu, de trouver un logement à l’année à loyer raisonnable.
Pour les retraités, l’incidence des prix peut être moindre mais pour autant, appartements du centre-ville et villas des quartiers résidentiels, parfois déjà propriétés familiales, restent inoccupés hors saison, Arcachon offrant le visage désolant de kilomètres de volets clos. Pour cette catégorie de population, deux griefs majeurs : en été, les nuisances, bruits, mauvais comportements, saturation des commerces et lieux de vie, difficultés de circulation et de stationnement, gâchent la vie d’une population qui aspire avant tout à une vie paisible dans un cadre agréable. L’intérêt présenté par le site s’en trouve gravement altéré. Hors saison, l’absence de commerces et services de proximité (hors Aiguillon), et l’aspect de ville morte dépriment et créent un sentiment d’insécurité que beaucoup mentionnent. Dans ces conditions, quitte à devoir se déplacer pour ses besoins, cette population opte de manière croissante pour des lotissements résidentiels construits à l’extérieur de la ville où elle trouve une quiétude et un environnement qu’Arcachon n’offre plus.
Dans ce bilan seul le quartier de l’Aiguillon apparait aujourd’hui offrir de bonnes conditions de vie et un rapport qualité/prix acceptable. La population résidente s’y regroupe. A l’autre extrémité de l’éventail des situations, le centre-ville apparait cumuler tous les handicaps. La « gentrification » s’y solde par un échec, et il n’est pas exagéré de dire qu’aujourd’hui le problème principal d’Arcachon est celui de son centre-ville conçu et organisé pour une population saisonnière aisée, de plus en plus déserté par les Arcachonnais et vidé de ses derniers commerces et services de proximité. Il est surprenant de constater que, quelque cinquante ans plus tard, les erreurs dont les effets ont été décrits précédemment ont pu être répétées sans qu’aucune leçon n’en ait été tirée.
Pour la vie des commerces et services deux possibilités existent : offrir des espaces de stationnement qui leur permettent de servir une clientèle extérieure ou pouvoir compter sur un bassin de population de proximité suffisant pour alimenter la vie de leur entreprise. Le centre-ville d’Arcachon n’offre ni l’un ni l’autre, ce qui explique sa désertion. Faute d’une population sédentaire suffisante, beaucoup de commerces sont réduits à « faire leur année » sur trois ou quatre mois, ce qui nuit à leur rentabilité et conduit à compenser avec des prix élevés, forme d’exploitation du touriste dont les arcachonnais font également les frais. Ceci fait fuir une partie de la clientèle et alimente le cercle vicieux qui affecte Arcachon.
3.8 les problèmes de mobilité
L’élimination de la voiture du centre-ville a alimenté beaucoup de controverses. En zone urbaine elle peut être la meilleure comme la pire des choses et il convient d’en examiner l’opportunité en fonction de chaque contexte local. Elle n’est compatible avec le maintien d’une activité commerciale et sociale, et l’existence d’un vrai lieu de vie dans la zone où elle est appliquée, uniquement dans la mesure où la population résidant sur place est suffisante pour assurer la base de l’activité. Ceci n’est pas le cas d’Arcachon, et là réside le problème fondamental de son centre-ville. A ceci s’ajoute le fait que le profil de la population résidente, une des plus âgées de France, moins aisément mobile, rend l’impératif de proximité des services d’autant plus important. Ceci affecte également indirectement les populations de quartiers plus éloignés, comme la Ville d’Hiver, Pereire ou Le Moulleau qui offrent hors saison le visage désolant de kilomètres de résidences désertées
Il ressort de tout ceci l’urgente nécessité de repenser la cité avec la priorité marquée de l’organiser pour les gens qui y vivent et y travaillent.
Dans ces conditions, l’ASSA considère qu’un certain nombre de mesures sont nécessaires et urgentes afin de replacer Arcachon dans une perspective de protection du patrimoine et de développement durable, et rétablir l’agrément du lieu de vie. Celles-ci devraient viser notamment :
- D’augmenter la proportion de la population résidente à l’année en améliorant l’attractivité du site
- D’allonger la durée de la fréquentation saisonnière (évènements, congrès, cures, Thalasso, sport, formation……)
- De favoriser le retour et l’implantation de la population active
- De contrôler le flux de circulation en saison et ses effets négatifs (développer plus encore les transports en commun, le stationnement en périphérie, les transports doux)
- Et bien sûr: De protéger la qualité du patrimoine bâtit et paysager (règles PLU, sauvegarde des éléments identitaires, appropriation par le citoyen local et d’«ailleurs»)
L’ASSA se tient à la disposition des parties politiques qui préparent les élections municipales de 2020 afin de réfléchir sur les dispositions à mettre en œuvre pour obtenir des résultats concrets et dans la durée.
Conclusion :
A moyen terme, la solution des problèmes n’est sans doute possible qu’en revenant sur le choix du tourisme saisonnier comme unique activité. Le déclin a commencé lors de l’arrêt choisi ou subi des activités permanentes autour de la santé et de la pêche.
Confrontés au même problème qu’Arcachon, Biarritz a conservé une activité industrielle autour de l’aéronautique, Royan a créé le CAREL, un centre de perfectionnement aux langues étrangères de grande renommée qui lui assure une activité permanente.
Sans rêver à un retour en arrière, les Arcachonnais doivent réfléchir à recréer une activité non saisonnière qui permettra à notre ville de retrouver une vie normale toute l’année. La présence d’un patrimoine bâti et paysager exceptionnel est certainement une composante essentielle de la réussite.
[1] Voir Michel Boyé, « Histoire d’Arcachon » p 84
[2] INSEE : Dossier sur La ville d’Arcachon
[3] Voir Michel Boyé, « Histoire d’Arcachon » p 194
[4] Voir Michel Boyé, « Histoire d’Arcachon » p 223