Nous le savons, Arcachon est fondé sur le rêve et les frères Pereire l’ont remarquablement utilisé avec une clientèle très internationale, mais était-ce encore possible après la guerre de 14/18 ?

A la fin de la Première guerre mondiale, en retard par rapport au calendrier officiel, l’Europe entre réellement dans un nouveau siècle :

  • les trois cours impériales, Russie, Autriche-Hongrie et Allemagne ont disparu et des républiques sont en place,
  • de nombreux pays sont ruinés, les moyens financiers de habitants sont réduits,
  • une certaine désillusion sur les bienfaits de la technique est apparue

et pourtant Arcachon se porte encore bien, le rêve « pittoresque » continue presque comme avant, les princes, les ducs, les grands artistes . . . français et étrangers sont toujours là, même s’ils sont moins nombreux.

Casa Sylva
En 1926, le duc Decazes, duc de Glucksbierg s’installe dans Casa Sylva qu’il vient de faire construire, il mélange différents styles. (Photo C. Strugen)

La guerre a cependant laissé des marques profondes dans les esprits et des déchirures vont apparaître.

Une partie de la population va rendre responsable le monde moderne, la grande ville, la capitale bien entendu, et chercher la solution aux tensions de l’époque dans un repli sur les valeurs traditionnelles incarnées par la province, la campagne, la famille. Ce refus de la modernité est évidemment irréaliste et du domaine du rêve mais un nouveau rêve devient donc possible.

Le style néo-basque, apparu discrètement au Pays Basque vers1900, correspondait très bien à ces idées en s’appuyant sur une culture ancienne, très rurale, attachant beaucoup d’importance à la famille et que Ramuntcho, le roman de Pierre Loti, avait largement valorisée.

Ce style permettait par ailleurs de s’adapter à la baisse des budgets des particuliers car il était compatible avec des constructions économiques en s’inspirant d’une maison traditionnelle et non du château comme dans le style pittoresque.

 

Chaumière
La Chaumière est située au Moulleau

Il suffisait d’utiliser des matériaux locaux, de partir d’un modèle au volume simple en l’agrémentant de quelques éléments décoratifs permettant d’identifier le style d’un seul coup d’œil : pans de bois, balcons, toit à deux pentes, etc.

Un phénomène de mode allait développer ce style avec des variantes landaises, des conceptions éventuellement plus modernes que prévu, notamment inspirées par l’évolution de la notion de famille, élargie au départ mais progressivement réduite au couple et à ses enfants.

La caractéristique qui ne changera pas est l’insertion dans la nature, la villa néo-basque restant inséparable de son environnement de pins maritimes.

A Arcachon et tout autour du Bassin, Louis Gaume, Compagnon du Devoir devenu entrepreneur, allait construire des villas de qualité aux proportions harmonieuses dans un environnement préservé.

Mur en encorbellement, corbeaux sous les pans, larmier en tuiles au dessus de la fenêtre. C'est du "Gaume"
Mur en encorbellement, corbeaux sous les pans, larmier en tuiles au-dessus de la fenêtre. C’est du «Gaume».

Sa signature, faite au pochoir et malheureusement effacée avec le temps, était visible sur les maisons qu’il réalisait et cette signature vous faisait entrer dans une certaine élite, celle des gens de goût. Quel rêve !

Le rêve de détente, de vacances en famille au milieu de la nature en profitant de la mer et du soleil, car le bronzage était devenu à la mode, allait se développer tout autour du Bassin d’Arcachon et même gagner une grande partie du littoral atlantique où les villas néo-basques allaient se multiplier.

A Arcachon, des quartiers comme les Abatilles ou le Moulleau montreront une grande diversité du style mais les essais d’immeubles en Centre-Ville ne feront pas rêver et seront des échecs.

Immeuble Néo-Basque
Immeuble néo-basque situé près de la gare : tentative sans lendemain

 

Le concept néo-basque repose clairement sur la Nature symbolisée par le couvert des pins. La station balnéaire la plus caractéristique en dehors du Pays basque, celle d’Hossegor, qui l’a bien compris, exige la replantation de deux pins pour un abattage.

Le rêve néo-basque, quoique moins fort que son homologue pittoresque, a bien fonctionné et marche encore, demandez aux propriétaires de ces villas s’ils les apprécient, la réponse vous le confirmera, par contre il semble peu adapté au centre d’Arcachon où il n’y a plus de pins.

Après la guerre, une autre partie de la population, en particulier les jeunes va célébrer le progrès technique, la vitesse, la jeunesse, la femme moderne. L’absence des hommes, pendant quatre ans, avait montré que les femmes étaient capables de faire fonctionner la société, elles voulaient maintenant donner leur avis, entre autres sur la maison.

A la même période, des architectes comme Le Corbusier essaient d’inventer la maison du 20ème siècle. Ils poursuivent un rêve très ancien : la recherche de la beauté dans la pureté des formes et les proportions mathématiques, sans ajouter de décoration.

Leurs autres idées directrices sont, l’adaptation de la maison à sa fonction, l’harmonie entre l’intérieur et l’extérieur, la pénétration de la lumière, l’utilisation des matériaux nouveaux et en particulier le béton. Le projet est trop révolutionnaire pour la société française de 1925 et un compromis va être trouvé en ajoutant quelques décorations : l’Art Déco.

A Arcachon, de nombreuses réalisations incorporeront des éléments Art Déco, en particulier au niveau des portes et des fenêtres et ce sera bien accepté.

Primerose
Primerose au Moulleau : un compromis entre Art Déco et pittoresque

 

Arcachon compte quelques belles réalisations de ce style susceptibles de faire rêver, en particulier la villa Kypris, mal aimée à Arcachon bien qu’elle ait été conçue par un des meilleurs architectes de l’époque, Arcachonnais de surcroit, mais le pur style Art Déco ne suscitera guère le rêve chez nous. Il s’éteindra en France au profit de réalisations plus audacieuses, sans doute un peu trop pour les Arcachonnais de l’époque.

Le dernier tiers du 20ème siècle fut marqué par des immeubles qui ne visaient manifestement pas à susciter le rêve et dont le résultat fut de faire fuir définitivement la clientèle qui avait fait le succès d’Arcachon.

Le rêve pittoresque allait cependant surgir à nouveau après 2001 avec l’opération Cœur de Ville et l’ilot construit à l’emplacement de l’ancienne école Condorcet.

Ilôt condorcet
L'ilôt condorcet, avenue de la République
Place des Marquises
La place des Marquises, adaptation urbaine du style pittoresque (Wikipedia)

C’est, certes, un rêve amoindri, car les propriétaires ne peuvent pas personnaliser extérieurement leur bien, donc se l’approprier comme ils l’auraient fait d’une villa et de son jardin, mais l’ensemble s’appuie sur un rêve pittoresque qui a profondément imprégné la culture des Arcachonnais et de leurs clients habituels. Le succès était plus facile qu’avec les autres styles et la réalisation a été bien appréciée par les Arcachonnais comme par les touristes.

Un nouveau rêve est-il possible à Arcachon ? Sans doute car sa recherche fait partie de la nature humaine, mais quel en sera le thème : un Orient mythique incarné par la Chine avec ses toitures en pagode ? l’Inde des maharadjahs ? le Japon des samouraïs ? un retour au Moyen-Orient des mille et une nuits ? un univers de science-fiction ? l’évocation des grands fonds marins ? autre chose ? Qui peut le prévoir.

Ce qui est certain, c’est qu’en attendant un visionnaire du niveau des Frères Pereire, il faut absolument préserver le patrimoine qui attire déjà les touristes et de nouveaux habitants.

Pour qu’un nouveau style réussisse, il faudra susciter le rêve des Arcachonnais et des visiteurs et tout nouveau projet qui l’oublierait sera largement jugé sur ce critère. C’est par exemple le cas de la nouvelle médiathèque qui ne séduit manifestement pas les Arcachonnais, rappelons-nous cependant qu’une décoration végétale permet de rattraper beaucoup d’erreurs d’architecture, la recette est connue depuis longtemps.

Surtout, retenons bien la leçon vieille de deux mille ans du poète romain Horace et le secret des frères Pereire car c’est toujours vrai au 21ème siècle : Il faut faire rêver.

Francis Hannoyer

Vers un nouveau rêve ?