C’est l’une des vues les plus photographiées d’Arcachon et les cartes postales en sont nombreuses. L’église Notre Dame des Passes conçue par Louis Garros, l’architecte qui a dessiné le projet d’ensemble du Moulleau en 1863, est belle et originale mais ce constat n’est pas suffisant pour expliquer cet engouement. A quoi donc l’attribuer ?
En fait, l’ensemble de ce paysage urbain est remarquablement construit, car c’est bien une construction géométrique que nous observons :
– Tout est fait pour conduire le regard vers l’église et inviter à y monter.
– Les dalles de la rue piétonne qui forment des lignes et l’escalier qui les prolonge y contribuent fortement en convergeant vers l’église. La symétrie de l’ensemble augmente cet effet en donnant une certaine solennité à cette ascension.
– La structure en triangle qui apparait nettement au sol donne une grande profondeur au paysage et renforce l’attraction vers le haut.
Il en résulte une satisfaction intellectuelle et un plaisir qui sont attribués à notre culture gréco-romaine dans laquelle la géométrie et les nombres sont considérés comme la meilleure incarnation du génie humain. Là est la grande différence entre un paysage naturel, ou qui feint de l’être, où symétrie et lignes droites sont bannies, et un paysage urbain qui est une oeuvre humaine et qui doit donc apparaître organisé, ordonné. On peut noter que les deux types sont présents dans ce paysage, les arbres qui entourent l’escalier contribuent à l’image d’Arcachon : la cité au milieu de la nature.
Le lieu est par ailleurs fortement chargé de sens et va susciter des associations d’idées, des émotions, avec des variations selon notre culture :
– Certains se souviendront s’être mariés ici et cela ravivera de nombreux souvenirs.
– D’autres remarqueront la forme en croix de l’escalier et cela suscitera des pensées religieuses.
– D’autres encore se souviendront des nombreux marins, amis, parents ou ancêtres, morts dans les redoutables passes qui ferment le Bassin d’Arcachon.
– Les descendants des fondateurs du Moulleau se souviendront que leurs familles ont financé elles-mêmes la construction puis l’agrandissement de l’église.
– Tous seront plus ou moins attirés par ce monument situé sur la hauteur.
Les hauteurs fascinent les hommes. Le fait est bien connu et attribué pour les montagnes au fait qu’elles sont vues depuis la nuit des temps comme le siège des divinités. L’Olympe et le mont Sinaï en sont de bons exemples. Pour les lieux moins élevés, leur ocupation systématique par le pouvoir civil ou religieux, auquel cela donnait un avantage stratégique en cas d’attaque, explique un mélange possible d’envie et de crainte qui ne pouvait laisser indifférent et qui a sans doute subsisté dans notre inconscient.
Ce paysage est remarquable, il faut le voir à travers un parcours. L’idéal est de partir d’un peu loin et d’avancer vers l’église qui se dévoile alors complètement dans son écrin végétal. Vous constaterez que vous pouvez vous déplacer sans que ce paysage perde de son esthétique :
– Sa structure est simple, il se lit facilement, c’est toujours agréable.
– le dallage du sol, réalisé quand l’avenue Notre Dame des Passes est devenue piétonne, a manifestement été conçu pour augmenter la force du lieu ou pour apporter un élément décoratif aux endroits où le paysage était moins marquant.
– la largeur de la voie par rapport à la hauteur des constructions qui la bordent est un élément fondamental de cette perspective, elle lui donne une échelle humaine, agréable, reposante.
Dans la deuxième moitié du 20ème siècle, une période où la qualité du paysage était souvent absente des préoccupations des élus, plusieurs perspectives d’Arcachon ont été rétrécies par des immeubles trop hauts ou trop massifs qui ont masqué la vue sur le Bassin ou sur un monument. Elles ont perdu leur esthétique et ont peu de chances de la retrouver. C’est le cas, par exemple, de la vue sur l’église Notre Dame depuis la Croix des Marins. Veillons à ce que cela ne se produise plus.
La perspective de l’avenue Notre Dame des Passes a été préservée, sans doute grâce à la vigilance des habitants du quartier bien regroupés dans l’Association des Propriétaires et Résidents pour la Sauvegarde du Moulleau.
La beauté préservée du quartier n’est évidement pas étrangère au succès du Moulleau, mais ce succès apporte la foule et la présence de mobilier publicitaire pas toujours esthétique. Si vous souhaitez admirer tranquillement ce paysage, venez plutôt le matin, ou un jour de semaine en fin de journée lorsque le soleil couchant colore en rouge la pierre de l’église. Vous ne le regretterez pas.
Francis Hannoyer