Nous avons vu, dans la première partie, que l’orientalisme, devenu très à la mode, s’était généralisé dans les lieux de villégiature et particulièrement à Arcachon, mais est-ce le cas dans tous nos quartiers ?

L’élément le plus visible est l’arc outrepassé, voyons maintenant les autres et cherchons-les.

 

– Un autre élément très fréquent à Arcachon, et que nous avons vu sur Myriam, est l’alternance de pierre blanche et de brique rouge sur les chaînages d’angles, l’encadrement des baies et les souches de cheminées, alors que, dans le « brique et pierre » traditionnel, présent à Saint Elme et de nombreuses villas, ces éléments étaient en pierre et la brique avait seulement un rôle de remplissage.

Saint-Elme, un bel ensemble de style Louis XIII, l’alternance y est absente
Saint-Elme, un bel ensemble de style Louis XIII, l’alternance y est absente

L’alternance de couleurs rouge et blanche rappelle évidemment celle de la Grande Mosquée de Cordoue ou celle du Casino mauresque. Les Courlis, Massillon, Teresa et de nombreuses autres villas, présentent cette alternance. Le plus frappant est que cette abondance est tellement intégrée à Arcachon dans l’image mentale de l’architecture pittoresque qu’elle n’est plus vue comme une marque d’orientalisme.

Belle alternance de brique et de pierre sur Les Courlis, quai patrimoine, à l’Aiguillon
Indiana, 12 rue Nathaniel Johnston en Ville d’Automne
Indiana, 12 rue Nathaniel Johnston en Ville d’Automne
Remarquez l’alternance sur les souches de cheminées de Floréal, avenue Saint François Xavier, au Moulleau
Remarquez l’alternance sur les souches de cheminées de Floréal, avenue Saint François Xavier, au Moulleau

Les petites constructions de la plupart des quartiers vont adopter cette alternance mauresque, y compris dans le quartier du port, l’Aiguillon. Elle fait maintenant partie, comme les épis de faîtage pittoresques, de la culture arcachonnaise.

Henriette et Boyé, des maisons de pêcheurs ou d’artisans de l’Aiguillon. Qui pense à la mosquée de Cordoue en voyant ces constructions ?
Henriette et Boyé, des maisons de pêcheurs ou d’artisans de l’Aiguillon. Qui pense à la mosquée de Cordoue en voyant ces constructions ?

La décoration des murs avec des carreaux ou des pièces de céramique était rare en France avant 1850, mais avait été importée d’Orient en Espagne et au Portugal sous forme d’azulejos, ou en Italie sous le nom de majoliques. Les expositions internationales et les comptes-rendus de voyage allait les mettre à la mode en France mais beaucoup plus à l’intérieur que sur les façades. Des volumes importants de carreaux, aux dessins souvent géométriques et non figuratifs, car respectant les préceptes du Coran, vont être importés d’Iran ou du Maroc, d’autres vont être imités par les faïenceries européennes.

Un cas particulier est visible sur la villa Spes, 7 avenue Saint Thomas d’Aquin, au Moulleau, construite en 1891 pour l’abbé Dugast, il avait sans doute un budget réduit. L’architecte Jules de Miramont, auteur de superbes villas à Arcachon, a superposé deux carreaux classiques en les décalant de 45 degrés pour imiter les fameux carreaux en étoile à huit branches de Kashan, en Perse. De loin, l’illusion fonctionne.

Spes

Un balcon de Spes…

…et un carreau figuratif de Kashan, c’était un cas fréquent dans ce pays musulman.

Dans ce domaine, les progrès techniques et la créativité artistique ont été très importants au 19e siècle, il est souvent difficile de distinguer ce qui relève indiscutablement de l’orientalisme.

Les noms de villas évoquant l’Orient et les Mille et une nuits sont curieusement assez rares, on trouve quand même : Shéhérazade, Roxane, Les Palmiers, Salammbô, Mitidja, Djénane et Sémiramis.

Shéhérazade
Shéhérazade, personnage central des Mille et une nuits, allée Lakmé en Ville d'Hiver

Après la Première Guerre mondiale, l’Orient fait progressivement moins rêver : l’empire ottoman a disparu, les voyages sont plus faciles et les fantasmes sur le harem n’inspirent plus guère les artistes. De nombreuses villes détruisent leurs constructions mauresques. La Ville d’Hiver, qui ne correspond plus aux objectifs, essentiellement balnéaires, des Municipalités d’Arcachon, s’endort avant de se réveiller à nouveau car ses habitants se sont mobilisés dans le dernier quart du 20e siècle et ont obtenu la reconnaissance de sa valeur par une Inscription au titre des « sites d’intérêt pittoresque ».

L’orientalisme inspire moins de fantasmes mais les touristes sont toujours aussi nombreux à s’extasier devant les belles villas d’Arcachon au pittoresque teinté de mauresque. Aucun doute sur la réponse à la question du début, l’orientalisme a marqué tous les quartiers d’Arcachon, même si nous ne le remarquons plus.

Surtout, si votre villa comporte des éléments exotiques, entretenez-les bien, ce sont des témoins de l’histoire de notre ville et ils participent à son charme, sans parler de la valeur de votre villa qui diminuerait en leur absence.

Francis Hannoyer

L’orientalisme méconnu d’Arcachon (2)