L’apogée du rêve : le style « pittoresque »

Quels étaient les thèmes les plus porteurs pour faire rêver dans la deuxième moitié du 19ème siècle ?
Nous avons vu que les visiteurs parlent « d’enchantement », le Journal d’Arcachon qualifie Paul Régnauld, le concepteur du Casino Mauresque et de la Ville d’Hiver, de « grand enchanteur ». Les visiteurs étaient en effet plongés dans le monde du rêve, celui des vieilles légendes, des contes de fées, des mille et une nuits.

Nous avons vu dans les chapitres précédents que le premier thème susceptible de susciter ce rêve était le Romantisme de cette époque en s’appuyant sur l’éclectisme, la redécouverte du Moyen-Age et l’intérêt pour la Nature. Deux autres thèmes étaient très favorables :

2-L’orientalisme
Il avait commencé au 18ème siècle avec l’intérêt pour l’empire ottoman et la mode des « turqueries », la campagne d’Égypte de Bonaparte avait entrainé ensuite un engouement pour la décoration de palmettes et de sphinx et un grand intérêt pour ce pays. La guerre d’indépendance grecque et les conquêtes de l’Afrique du Nord avaient enfin fait l’objet de nombreux comptes rendus et tableaux, en particulier d’Ingres et Delacroix. Les couleurs ensoleillées de Delacroix et les Odalisques d’Ingres, entre autres, faisaient rêver
« Les Mille et Une Nuits » était devenu le principal livre de chevet des écrivains au 19ème siècle. Le harem faisait l’objet de nombreux fantasmes, l’Orient suscitait des rêves de voyages, de contrées lointaines. C’était le sujet idéal pour créer du rêve à Arcachon.
Le Casino Mauresque, inspiré disait-on par la Mosquée de Cordoue et l’Alhambra de Grenade, sera la première construction des frères Pereire à Arcachon et sa décoration sera copiée sur de nombreuses villas, le plus souvent les arcs outrepassés sur les fenêtres ou les portes : Teresa, Massillon, Myriam, May Lily, etc.

Arc outrepassé sur Myriam, allée Pasteur

L’orientalisme se retrouve dans les noms des villas : Shéhérazade, Roxane, Sémiramis, Mitidja, Les Palmiers, Oasis, Djenane, . . . et sans doute aussi dans le patronyme Osiris que se choisit le financier Daniel Iffla qui fit construire sept villas à Arcachon. La place des Palmiers, nommée à l’origine « Oasis des Palmiers » est en harmonie.
L’exemple de Djenane, villa construite au début du 20ème siècle en Ville d’Automne est significatif. Ce nom est celui de l’héroïne d’un roman de Pierre Loti dont l’histoire se déroule dans les harems d’Istanbul. Le rêve orientaliste avait gagné les autres quartiers.
L’orientalisme mauresque était prédominant mais il ne faudrait pas oublier l’Extrême Orient avec le kiosque du Parc Mauresque en forme de pagode, le Buffet Chinois qui était situé près de la gare et les villas Pépa surnommée « La Pagode », Les Lotus et Le Lotus Bleu. Le rêve pouvait aussi être asiatique.

Le kiosque en pagode et le Casino Mauresque

Le rêve de l’Orient, très puissant au 19ème siècle, a-t-il disparu de nos jours ? Certainement pas : parmi ceux qui se souviennent du Casino Mauresque, combien y ont été insensibles ? sans doute très peu. Que cherchent encore tous les voyageurs dans les pays exotiques ? Pourquoi tant de romans actuels parlent-ils des harems ? Ce rêve d’un ailleurs mythique est évidement profond et toujours prêt à surgir de nouveau.

 

3 La révolution économique et technique
Le 19ème siècle est en France, tout le monde le sait, celui du développement de l’industrie grâce à la machine à vapeur car il n’y avait auparavant que l’énergie des moulins à vent et à eau. La mécanisation et la fabrication en série vont entrainer une baisse des coûts de construction et la villa devient alors accessible à d’autres que le roi ou quelques grands seigneurs. Le rêve devient réalité.
Le progrès technique est très rapide et des ateliers vont produire en série les bois découpés, les briques, les tuiles, les céramiques, les épis de faîtage, les crêtes de toit, les bow-windows, etc.

Nos villas pittoresques sont le fruit de ces matériaux industriels achetés sur catalogue et du chemin de fer qui les transporte à Arcachon.

Deux villas mettent bien en évidence l’importance du progrès technique pour ceux qui les ont fait construire. Ils ont certainement voulu réaliser leur rêve. Hamlet et Les Ruines, toutes deux construites dans les dernières années du 19ème siècle sont remarquables mais ce sont des cas particuliers, la technique étant généralement discrète dans l’architecture pittoresque.

 

La villa Hamlet est recouverte de plaques de fer permettant un rafraichissement des murs en été mais possédait aussi un chauffage central à air chaud par les murs et les doubles plafonds.

La villa Les Ruines, détruite il y a quelques années, était fabriquée en ciment armé, une technique qui avait fait l’objet d’un brevet.

Ce qui est moins connu, c’est que cette révolution technique va entrainer l’ascension d’une grande bourgeoisie industrielle, commerciale et financière très dynamique. Les frères Pereire ou Daniel Iffla Osiris en sont un bon exemple. Cette bourgeoisie, fortement encouragée par le pouvoir royal, puis impérial, prend de fait le pouvoir au détriment de la noblesse, un rêve qu’elle attendait depuis longtemps.

Très cultivés, cherchant éventuellement à montrer leur supériorité aussi dans ce domaine, ces entrepreneurs vont prendre de très bons architectes pour faire construire des villas à l’apparence traditionnelle mais aux techniques modernes et intégrant très rapidement les éléments de confort : chauffage central, éclairage électrique, salle de bains, téléphone, . . .

De nombreuses villas sont le résultat du dialogue entre ces grands architectes qui vont venir à Arcachon et ces grands bourgeois qui montrent ainsi leur statut social, leur culture, leur personnalité et leurs rêves. A cela va s’ajouter la compétition amicale entre voisins qui va les pousser à rechercher la fantaisie, l’originalité.

De multiples noms de villas évoquent les arts qui correspondent aux goûts mais aussi aux pratiques des femmes de cette société :

  • la musique : Beethoven, Chopin, Gounod, Faust, Marguerite, Carmen, Giroflé, Guillaume Tell, . . .
  • la peinture : Fragonard, Velasquez, Watteau, Rubens, . . .
  • la littérature : Graziella, Salammbô, Esméralda, . . .

Alors, imaginez- vous un soir d’été dans le cadre enchanteur du jardin de Faust. Un musicien, peut-être Debussy, joue du piano, chacun se laisse porter par le charme des notes et se laisse entrainer par ses rêveries en pensant à une scène d’opéra.
C’est cela le rêve pittoresque et il fonctionne encore partiellement, même si les conditions pensées par les frères Pereire ne sont plus totalement respectées.

Saint-Gilles construite au Moulleau vers 1930

La construction à Arcachon de villas pittoresques va s’arrêter au début des années 1930, alors que le succès de la Ville d’Hiver avait entrainé l’extension de ce style à tous les quartiers. Il faut dire que cette période était marquée par de fortes dissensions au sein de la municipalité d’Arcachon.
Bien que ce ne soit pas le cas, beaucoup d’Arcachonnais craignaient que la présence de malades fasse fuir les touristes. Sans vraiment chercher qui pouvait remplacer cette clientèle présente toute l’année, Arcachon renonça alors à l’activité médicale, qui avait pourtant été un facteur important de son succès, pour se concentrer sur l’activité balnéaire et donc uniquement sur la saison estivale.
Paradoxe étonnant, les Arcachonnais continuaient à encenser les frères Pereire alors qu’ils tournaient le dos à leur politique.
Légèrement affaiblie par la guerre de 1914-1918, puis par la crise mondiale de 1929-1932, la Ville d’Hiver déclina fortement par suite du départ des malades. Le principal support de rêve étant en sommeil, Arcachon devint moins attirante pour les princes, les ducs, les marquis . . . et abandonna progressivement le rêve et la qualité pour se concentrer sur la quantité, c’est-à-dire le nombre de touristes. Le secret des frères Pereire était bien oublié.

Dans la prochaine chronique, nous regarderons les tentatives ultérieures ayant essayé de favoriser un nouveau rêve à Arcachon. La question est simple : Arcachon peut-il profiter de son patrimoine pour susciter à nouveau du rêve.

Francis Hannoyer

Le secret des frères Pereire 4
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