LES STYLES
Depuis son origine au XIXe siècle, l’architecture d’Arcachon s’est développée sous différentes formes que l’on parvient toutefois à regrouper selon les tendances du moment. Cette évolution détermine des styles d’architecture qui correspondent approximativement aux étapes de l’histoire de la ville au XIXe siècle. Il est possible de les décrire, de les analyser dans l’espoir de les classer dans les mouvements stylistiques reconnus de l’architecture balnéaire. Rappelons que celle-ci fait partie de l’architecture de villégiature qui regroupe celles des séjours à la mer, la montagne, la campagne ou dans les villes d’eaux.
Cet essai n’est pas sans risque dans le contexte d’un urbanisme qui s’est densifié depuis la période qui nous intéresse, faisant perdre des témoignages précieux et ne permettant parfois que des hypothèses. Lorsqu‘on tente un inventaire de ces différents types de construction, de multiples questions surgissent.
Après un bref rappel de ces styles, je m’attacherai, ensuite, à exposer dans une deuxième partie quelques-uns des interrogations qu’ils suscitent.
D’un premier type qui pourrait être qualifié de vernaculaire, c’est à dire propre à la région, jusqu’à des formes utilisées sur toutes les côtes de France, les réalisations balnéaires de notre ville connaissent tous les styles : du néo-classicisme aux formes pittoresques les plus abouties, l’architecture arcachonnaise passera également par un certain historicisme issu de modèles médiévaux ou renaissants, et par l’éclectisme, ce mouvement qui permet à l’intérieur d’un même bâtiment la combinaison de plusieurs styles.
Les rares établissements de bains qui s’installent à partir de 1823, de style néo-classique, sont comparables à ceux de Royan, de Dieppe ou encore de Boulogne-sur-Mer. Portiques et colonnes s’y développent autour de bâtiments rectangulaires ou en hémicycle dont la séquence des plans est souvent tripartite, formée par des pavillons placés aux extrémités et au centre de la construction, et reliés entre eux par des galeries. Celles-ci, les corps de logis, d’un à deux niveaux, forment l’essentiel de l’élévation.
L’installation de chalets individuels ne se met en place qu’une vingtaine d’années plus tard puisque les premiers furent bâtis entre 1842 et 1844. Celui de Lamarque de Plaisance, connu par une gravure, présente une architecture éclectique où se mélangent les formes à l’antique du portique et les toitures en poivrière des tourelles d’angle.
Il faudra attendre 1849 pour que le plan cadastral donne une image de la première urbanisation du rivage, et 1856 pour avoir des illustrations de quelques chalets (guide Lacou). Leur architecture semble hésiter entre les formes néo-classiques, évoquées par les colonnades des galeries, les chalets et le style néo-gothique. Deux modèles semblent émerger par leur particularisme. Le premier, d’un seul niveau, au plan carré, ceint de galeries a été quelquefois qualifié de « colonial ». C’est le cas de la villa Salesse, en bord de mer.
Le deuxième se caractérise également par un plan centré, cette fois cantonné de tourelles d’angles. Bosquet fleuri, en bord de plage, présente cette disposition.
Villa Bosquet fleuri, façade sur mer et vue de la toiture révélant son plan
Éclectiques par leur variété, ces demeures, qui ne sont hélas plus nombreuses, étaient adaptées à la fonction balnéaire par leurs larges ouvertures et leurs galeries. Des recherches afin de comparer ces édifices « d’un avant Ville d’Hiver », avec celles d’autres villes balnéaires, de la même époque, sont restées vaines. Le manque de témoignage avec d’autres chalets des années 1845-1855, dans d’autres lieux de villégiature peut s’expliquer soit, par la destruction ou le remaniement de ceux-ci, soit par l’absence de ce type d’architecture dans d’autres territoires.
Cela nous amène, néanmoins, à nous demander si cette période d’Arcachon n’a pas présenté quelques facettes d’une architecture autonome, issue de l’influence néo-classique, mais ayant trouvé ses formes propres. C’est essentiellement aux modèles à plan centré, cités au-dessus, que je me réfère. D’autres, qui pourraient évoquer la forme du chalet, comme celui de M. Couve, n’ont pas les caractéristiques affirmées des chalets suisses que Gustave Alaux livrera pour la Ville d’Hiver.
La Ville d’Hiver marque la fin d’une architecture issue d’influences locales. Elle présente un inventaire d’architectures facilement accessible grâce à la conservation de nombreuses villas. L’éclectisme règne dans chaque édifice, qu’il soit issu des formes du chalet suisse ou du castelet néo-gothique, de l’orientalisme du Casino, ou de la rusticité du gymnase Bertini, devenu la villa Toledo, donnant à cet endroit l’ambiance pittoresque recherchée.
Ajoutant un nouveau matériau à ce quartier de cure, la construction métallique apporte sa touche de modernité, témoignage des talents d’ingénieur de Paul Régnauld. Quant aux constructions commanditées par les Pereire en nom propre, elles présentent d’autres formes, plus haussmanniennes, telles que Franklin, ou inédites, par leurs élévations, comme celle de Mozart.
Si les rares œuvres laissées par Gustave Alaux se détachent assez nettement des productions de Paul Régnauld, ces dernières offrent plus de diversité, proposant des formes de chalet, de castelet, mais aussi un Casino néo-mauresque ou un buffet chinois. La Ville d’Hiver fut la vitrine d’œuvres architecturales au goût du jour, implantées selon un urbanisme programmé, contrairement à celui de la ville d’été, et selon l’idée nouvelle de la prépondérance de la nature par la place accordée à la forêt et aux jardins. Elle est, encore, de nos jours, le reflet de la diversité des styles qu’offrait la deuxième moitié du XIXe siècle.
Mais le style pittoresque est un style qui évolue, et il va se débarrasser progressivement du type chalet, du néo-gothique, pour des plans complexes, des formes élancées et décorées, ayant suggéré à Gilles Plum la formule d’« une architecture expressive ». Les formes pittoresques employées préalablement par la Compagnie de chemins de fer du Midi passent alors pour des prototypes pleins de sagesse. Les architectes des décennies suivantes semblent rivaliser d’inventions quant aux créations qu’ils proposent dans la ville. Le cas de Jules de Miramont mérite d’être retenu pour les productions qu’il a laissées à Arcachon et deux villas, Alexandre Dumas et L’Alma montrent son talent à créer comme à rénover ou agrandir. Le fonds qui lui est consacré aux Archives municipales facilite l’étude de ses œuvres, mais d’autres architectures aux auteurs non connus et pourtant aussi novateurs attestent des audaces de ceux-ci.
Ce style pittoresque qui laissa peu de place au mouvement Art Nouveau dans la ville, à la fin du siècle, est celui qui la caractérise et celui, sans doute, qui illustrait de la meilleure manière, l’art de vivre du villégiateur des années de la fin du siècle.
A bientôt dans la deuxième partie : les interrogations que suscite l’architecture balnéaire
Isabelle Dotte