Comment les frères Pereire, Adalbert Deganne et d’autres ensuite ont-ils réussi à attirer à Arcachon une impératrice, des rois, des reines, des princes, des ducs, des marquis, des financiers, de riches industriels, de grands artistes, . . . donc des personnes qui certainement avaient déjà des résidences confortables dans des endroits agréables et dont beaucoup ont fait construire, acheté ou loué de superbes villas à Arcachon ?
Par quoi cette clientèle haut de gamme, internationale ou nationale, a-t-elle été attirée à Arcachon ? la question mérite d’être posée, quel était donc le secret des frères Pereire? Pour le trouver, revenons quelques décennies en arrière.
Connaissez-vous des Arcachonnais qui ont connu le casino mauresque et qui, à sa vue, n’ont pas été pris par le rêve ? Certainement très peu, voire aucun et c’est normal car il a été construit pour faire rêver. Là est le principal secret des frères Pereire et la raison de leur succès.
En fait, ce secret ne l’est plus depuis au moins 2000 ans. Le poète romain Horace dans son « Art Poétique » donne des conseils à un jeune poète et lui explique que la poésie, c’est comme la peinture, il faut faire rêver. La phrase d’Horace est très connue, elle a été commentée par de nombreux artistes, Léonard de Vinci entre autres. Le conseil est valable pour tous les artistes mais il est surtout bien connu des vendeurs, les meilleurs arguments pour vendre, ce ne sont pas les arguments techniques mais ceux qui s’adressent à l’imaginaire, au rêve. En deux mots, il faut vendre du rêve.
Comme le jeune garçon de la photo, ouvrons-nous au rêve mais essayons aussi de prendre du recul pour comprendre les raisons du formidable succès d’Arcachon pendant près d’un siècle. La principale raison est que la villa est, depuis l’antiquité, une merveilleuse source de rêve, les frères Pereire, qui étaient de véritables experts en marketing, l’avaient bien compris. Parmi les clients fortunés qu’ils voulaient attirer, certains avaient particulièrement besoin de rêve : les tuberculeux qui savaient qu’ils n’avaient peut-être que quelques mois, ou quelques années à vivre. Leur rôle, organisé par les frères Pereire, a été fondamental dans le développement de la Ville d’Hiver et celui d’Arcachon. Très peu ont sans doute fait construire ou acheté une villa, mais ils ont certainement loué la villa de leurs rêves et cela a suscité la construction de nombreuses villas. Nous en reparlerons plus loin.
Le style des villas a été, bien entendu, adapté à l’évolution des goûts, mais avant d’examiner plus loin les valeurs caractéristiques de chaque époque, cherchons d’abord, au travers d’exemples pris à Arcachon, quelles sont les valeurs permanentes depuis 2000 ans qui permettent de susciter le rêve :
La villa repose sur un imaginaire d’évasion, donc de rêve
Évasion dans le temps
très souvent, en puisant dans les architectures d’autres époques. La villa Faust en est un bon exemple avec sa tourelle, son nom gravé en lettres de feu qui fait référence à la vieille légende allemande du docteur Faust qui avait vendu son âme au diable, le souvenir des différents opéras qui ont porté sur ce thème. Faust est beaucoup plus qu’une villa, tout y incite à s’évader de la réalité, de notre époque
Évasion dans l'espace
aussi car pour rêver, peut-on imaginer mieux que de penser aux contrées lointaines qui vont remémorer des souvenirs, des images, des contes. Le casino mauresque, première construction faite en Ville d’Hiver, était évidement à la source de nombreuses rêveries et certaines de ses caractéristiques comme l’alternance de pierres claires et de briques rouges sur les chaînages d’angle ou les arcs outrepassés se retrouvent sur de nombreuses villas. Ceux qui connaissaient la mosquée de Cordoue ou en avaient vu des images ne pouvaient pas rester indifférents. La place des Palmiers avait évidement le même rôle. Le Buffet Chinois ou le kiosque en pagode du Parc Mauresque évoquaient l’Extrême-Orient.
Dans la prochaine chronique, nous examinerons
les deux autres raisons qui permettent de susciter le rêve depuis au moins deux mille ans et dont l’application à Arcachon a été remarquable.
Francis Hannoyer