LES INTERROGATIONS
Les différents styles, leur définition, leur terminologie, leur évolution, amènent souvent l’historien de l’architecture à des interrogations.
Il faut rappeler que l’architecture balnéaire fut, en effet, longtemps ignorée, parfois dépréciée, autant à Arcachon que sur l’ensemble du territoire national. Bien que vantée pour ses particularités dès sa création, il faut attendre les années 1970 pour que l’historien de l’art, Bruno Foucart, en réévaluant l’architecture du XIXe siècle, permette de considérer les œuvres bâties de la villégiature comme un art à part entière. Cette prise de conscience fut suivie de campagnes de protection et de publications sur certaines villes. Arcachon bénéficiera de cet éveil, et fera l’objet d’une étude, relatée dans l’ouvrage de l’Institut français de l’architecture, de 1983, placé sous la direction de Maurice Culot, Arcachon, la ville d’Hiver. Les recherches de Claude Mignot, historien spécialiste du XIXe siècle, s’ajoutant à celles de l’Institut français d’architecture, aboutirent à la mise en place d’un programme sur l’architecture balnéaire, au sein de l’unité de recherches André Chastel, à Paris. Malgré cela, en 2011, Bernard Toulier éminent spécialiste du patrimoine de la villégiature, admettait que certaines interrogations sur l’invention du balnéaire restaient sans réponse.
Certains aspects du mouvement pittoresque font partie de ces interrogations. Ce terme utilisé afin de décrire l’architecture balnéaire de la seconde moitié du siècle apparait tout à fait adapté et représentatif des formes qui la caractérisent. Il correspond à la définition du pittoresco italien, en référence à la peinture et aux sujets qui lui sont fournis, par les constructions féminines, colorées, essaimées dans la nature proche. La recherche de ses origines nous renvoie également aux folies et aux fabriques de jardin ornant les parcs des demeures, dès le XVIIIe siècle. L’historien de l’architecture contemporaine Bernard Toulier l’associe à l’éclectisme historique du XIXe siècle. Il comprend aussi l’exotisme orientalisant, le régionalisme, mais exclut le néo-classicisme. Cela signifie que les établissements de bains de mer de la première période d’Arcachon ne correspondent pas à cette terminologie. Et que dire alors des premières demeures installées sur l’estran dont les styles n’entrent pas dans des classifications préétablies ? -Il est fait référence ici à des villas telles que Salesse, Gièse ou Johnston-.
D’autre part, si le château Deganne, néo-Renaissant, fait partie de cet univers, qu’en est-il de son modèle, le château de Boursault, né dans la Marne, dix ans plus tôt ?
Que dire encore de l’architecture métallique et plus précisément, de la passerelle et de l’observatoire, conçus par Paul Régnauld pour la Ville d’Hiver ?
Ou plus généralement, le pittoresque est-il indissociable des lieux de villégiature ?
Cette dernière interrogation est peut-être sans réponse, une des difficultés soulevées par Bernard Toulier au cours de la conférence qu’il donnait à la Cité de l’Architecture le 8 juin 2011. Ce jour-là, il avait lui-même posé la question suivante : « Y-a-t-il un style balnéaire spécifique ? ».
Cet embarras, lié à une définition stylistique, est à rapprocher d’un autre problème de terminologie, dans l’appellation chalet, puisqu’à Arcachon, ce terme possède deux significations et il n’est pas toujours aisé de savoir dans quel sens il est employé.
En effet, les premières constructions au bord de l’estran ont été, dès l’origine, dénommées chalets. Dans ce cas, le sens est quasiment affectif, et signifie la maison de famille, de vacances, cela sans engager quelconque référence architecturale (Salesse, par exemple, était appelée chalet par ses propriétaires).
De leur côté, les historiens de l’architecture balnéaire ont attribué ce nom à un type de construction dont les caractéristiques sont déterminées et qui seraient issues des chalets suisses.
Ajoutant à la confusion liée à l’utilisation de ce mot, Bernard Toulier, donne une nouvelle précision, au cours de la conférence donnée en 2008, à la Cité de l’architecture, sur La résidence de villégiature au XIXe et XXe siècles. Après avoir utilisé, lui-même, ce terme dans ses ouvrages, il précise, alors, que le chalet n’est pas spécifiquement suisse, et qu’il a des représentations en Norvège, en Angleterre et en Autriche. La définition du chalet, de type suisse, devrait-elle être reformulée ?
Ces questions qui gênent l’analyse semblent être générales puisque le conférencier avait reconnu, que « l’historien d’architecture est mal à l’aise lorsqu’il s’agit de travailler sur la villégiature ». Au cours du même colloque, il avait encore admis, au sujet des œuvres de la villégiature qu’ « on ne sait pas les définir ».
Parmi les hésitations, il faut également citer le type de construction de la première période, dit « colonial », et tâcher de comprendre de quelle architecture il est question. À Arcachon, ce terme a été employé au sujet de la villa Salesse, de 1854, mais il aurait pu également qualifier les chalets de MM. Gièse et Johnston, très proches dans leur conception.
Ce qui fait sans doute référence à cet « exotisme » est à la fois le plan carré, la galerie périphérique, l’élévation d’un seul niveau et la blancheur de la demeure. L’association de ces éléments donne à l’ensemble une forme architectonique très contemporaine. C’est justement à la modernité et à l’originalité de ces constructions que l’on doit rendre hommage sans imaginer une quelconque influence cubaine, antillaise ou autre. Il faut, au contraire, admettre qu’un style propre, issu d’influences régionales, a pu naître, ici.
En effet, dans nos îles lointaines et à ces dates, le néo-classicisme venait seulement de s’éteindre laissant la place à une architecture n’ayant aucun trait commun avec Gièse, Johnston ou Salesse. Les constructions d’un seul niveau à la Réunion, par exemple, sont qualifiées de style Louis-Philippe et marquées par un décor spécifique, sans galerie, ou possédant seulement une varangue en façade.
Contrairement à nos chalets bâtis sur la plage, le bois y est le matériau le plus utilisé. Apparent, sous forme de lattes juxtaposés placées soit à l’horizontal, soit à la verticale, il peut également couvrir les murs et les toits de bardeaux. Quant à la pierre de lave, difficile à travailler, elle était réservée aux demeures des plus aisés, que ce soit aux Antilles ou dans l’océan Indien.
Malgré ces différences, il est indéniable qu’il y a eu des influences architecturales de part et d’autre, dans le cadre des échanges commerciaux et culturels avec nos anciennes colonies. Par ailleurs, ce thème pourrait faire l’objet d’une étude poussée.
Il s’ajoute, pour l’heure, aux nombreuses questions que pose l’architecture balnéaire. Autant d’interrogations qui restent parfois sans réponse mais qui montrent la variété de ces constructions, de leurs styles, reflets d’un siècle riche d’inventions, de bouleversements politiques et de transformations socio-économiques. Cela sous-entend, s’il était nécessaire de le souligner encore, l’utilité de la conservation et de la protection de notre patrimoine, vitrine présente des réalisations passées.
Isabelle Dotte