Nous avons vu dans le Secret des frères Pereire (4 épisodes) que le Casino mauresque avait fait rêver et contribué à attirer des rois, des reines, des princes, des artistes . . .
D’où vient ce rêve d’Orient ? A-t-il marqué tous les quartiers d’Arcachon y compris l’Aiguillon ou seulement la Ville d’Hiver ? Nous allons chercher ces réponses en Orient et dans les rues d’Arcachon.
L’Orient et sa culture ont toujours intéressé les Européens et en particulier les Français. Tout au long de notre histoire, les preuves en sont nombreuses, citons-en quelques-unes.
Après l’antiquité, leurs contacts ont été notamment importants à l’occasion de pèlerinages à Jérusalem mais aussi lors des croisades qui permettront aux élites de connaitre ces régions et leur nouvelle culture. Le comte Robert II d’Artois, neveu et filleul du roi Saint-Louis, crée, par exemple, le jardin de Hesdin en s’inspirant des merveilleux jardins arabes qu’il avait vus lors de la huitième croisade.
Les siècles suivants sont marqués par une forte opposition religieuse qui freinait les échanges culturels, ceux-ci passaient essentiellement par l’empire byzantin, l’Espagne ou Venise et concernaient surtout les domaines scientifiques et médicaux où l’Orient était très en avance sur l’Occident. En France, les échanges passaient par Cordoue et surtout Tolède où des moines traduisaient les textes gréco-romains que les arabes connaissaient, sans doute, grâce à la grande bibliothèque d’Alexandrie.
François Ier conclura cependant en 1536 avec Soliman le Magnifique, souverain prestigieux de l’empire ottoman, un traité, considéré à l’époque comme sacrilège, qui assure aux commerçants français la protection et la liberté d’accès à tous les ports ottomans. Malgré les critiques, le traité sera renouvelé en 1600 par Henri IV.
L’intérêt va s’amplifier au 17e siècle car la société française se passionne pour les voyages : l’arrivée du « Grand Mamamouchi » dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière (1670) est un signe annonciateur de ce changement confirmé en 1711 lorsque Antoine Galland traduit Les mille et une nuits qui rencontrent un grand succès en France mais aussi dans toute l’Europe.
Louis XIV reçoit avec un faste particulier en 1715 à Versailles l’ambassadeur de Perse, qui lui propose un traité entre les deux nations. C’est le début en France de l’exotisme et des turqueries qui verront, entre autres, madame de Pompadour se faire représenter en sultane. Montesquieu profite de cet engouement pour publier en 1721 les Lettres persanes dans lesquelles un Perse dit ce qu’il pense de la France. Voltaire fait de même en 1748 avec Zadig ou la destinée. Rares sont cependant les Français qui partent à la découverte de ce monde magique et mystérieux.
La campagne d’Egypte et de Syrie lancée en 1798 est un nouveau tournant, car Bonaparte a emmené des historiens, des scientifiques, des artistes, . . . pour redécouvrir les richesses culturelles de ce pays mythique. Cette campagne va avoir en France un retentissement considérable, transformer les meubles et objets d’art. Le style Empire en est le témoin.
Cette mode ne concerne encore en France que l’intérieur des constructions mais les conditions sont favorables à l’apparition d’un véritable orientalisme architectural, présent en Angleterre depuis 1750. Dans ce pays, la Compagnie britannique de Indes orientales et les comptoirs d’Extrême-Orient avaient permis à de nombreux anglais de découvrir d’autres architectures ; l’orientalisme y était inséparable du jardin anglais où de petits pavillons mauresques, ou asiatiques, côtoyaient des manoirs gothiques, des cascades et des grottes romantiques pour créer un ensemble pittoresque.
L’intérêt va s’élargir à l’ensemble de l’empire ottoman, les peintres et les écrivains vont y trouver une source de renouvellement, d’autant plus que l’antiquité gréco-romaine et ses héros commençait à lasser.
Les nouveaux thèmes permettaient, dans un XIXe siècle très puritain, de représenter des odalisques nues dans des harems, ce qui était impossible dans un autre contexte. Tout ce qui évoquait les minarets, les mosquées, les harems, les belles esclaves, les sultanes, permettait de faire rêver et fantasmer. Tous les arts allaient s’en emparer.
Au niveau de l’architecture, l’orientalisme allait se développer dans les lieux qui étaient attachés aux loisirs : stations balnéaires, villes thermales, maisons de villégiature, casinos. Le résultat fut un orientalisme architectural assez théorique puis qu’il mélangeait, dans un Orient supposé unique, des éléments pris en Turquie, en Egypte, en Afrique du Nord ou en Espagne.
Les constructions les plus emblématiques et les plus sophistiquées, comme notre Casino mauresque, l’une des plus belles constructions de ce style en France, allaient amplifier le rêve initial car l’orientalisme allait s’insérer sans difficulté dans l’art pittoresque déjà présent. En effet, les clients et les architectes étaient toujours intéressés par ce qui pouvait surprendre et faire rêver, les éléments exotiques inspirés de l’Orient complétaient bien ceux du Moyen âge et de la Renaissance.
Les clients anglais qui venaient en villégiature sur le continent étaient particulièrement demandeurs, ce qui explique le lien, entre autres à Arcachon, entre les constructions mauresques et la présence de colonies anglaises.
Notre casino mauresque, inspiré de l’Alhambra de Grenade et de la Grande Mosquée de Cordoue, devait donner un exemple pour les propriétaires et architectes locaux. Cela a parfaitement fonctionné à Arcachon de 1865 à 1930 environ, le nombre de villas comportant des éléments d’inspiration mauresque est impressionnant dans presque tous les quartiers.
Cet apport va le plus souvent se limiter à quelques caractéristiques.
– Le plus visible est l’arc outrepassé, c’est-à-dire dépassant la règle traditionnelle du demi-cercle de l’architecture antique ou romane. Il serait apparu dans l’art paléochrétien du Bas-Empire romain, dans la région que nous appelons maintenant le Moyen Orient, puis repris ensuite par les wisigoths et les arabes. On parle aussi d’arc en fer à cheval et son inspiration mauresque est évidente pour les Arcachonnais et les touristes.
On le trouve généralement groupés par deux dans des fenêtres géminées qui éclairent souvent l’escalier. C’est le cas, par exemple sur Massillon, May Lily ou Nitouche pour ne citer que des villas hors Ville d’Hiver où elles sont nombreuses.
Il peut aussi être isolé comme sur Myriam, une villa peu connue de la Ville d’hiver, où le caractère mauresque est souligné par sa découpe polylobée.
Assez curieusement, cet arc outrepassé est associé à la céramique qui porte le nom d’une villa du boulevard Deganne.
Fin de la première partie : nous verrons, dans la deuxième, les autres éléments caractéristiques et leur présence à Arcachon. Alors, à bientôt.
Francis Hannoyer