L’église Notre Dame des Passes est le monument emblématique du Moulleau, c’est surtout l’église la plus originale et la plus typique d’Arcachon. Contrairement à la plupart des églises de France, elle n’appartient pas à la commune, bien qu’ayant été construite avant 1905, car elle était privée à cette date. Une plaque à côté de l’entrée mentionne un des nombreux évènements de son histoire, nous en parlerons dans des chapitres ultérieurs. Son nom est lié aux redoutables passes qui ferment le Bassin d’Arcachon. De nombreux Arcachonnais y ont laissé la vie, en particulier à l’occasion du « grand malheur », une tempête en mars 1836 qui provoqua le naufrage de six chaloupes de pêche et la mort des soixante dix huit pêcheurs qui y travaillaient et faisant cent soixante orphelins en deux jours. Les conséquences de ce drame étaient encore très présentes au moment de sa construction. En fait, c’est un ancien couvent dominicain mais, avec ses deux tours en façade, son apparence est celle d’une église. Comme la plupart de celles-ci en France, elle est orientée, c’est-à-dire tournée vers l’Est, vers Jérusalem. Cette orientation, peu respectée à Arcachon est sans doute surtout liée à la direction du rivage. Située en haut de la dune et dans l’axe de l’avenue piétonne qui conduit à la jetée, elle le domine et attire les regards. Rappelons que les pouvoirs civils et religieux ont toujours recherché cette position en hauteur. Outre son avantage stratégique, la hauteur inspire incontestablement le respect.
Le paysage vu d’en bas comme d’en haut a été remarquablement conçu : le vaste escalier en forme de croix qui monte à l’église s’insère dans une perspective très profonde. Cette situation est sans doute la principale raison du succès de Notre Dame des Passes et les nombreux mariages qui s’y déroulent en sont la manifestation la plus visible.
Historique de la construction
Lorsque, en janvier1863, les deux bordelais Aurélien de Grangeneuve et son beau-frère William Papin achetèrent 32 hectares de dunes au sud d’Arcachon, au lieu-dit Moulleau, pour y créer une station balnéaire familiale, ils cherchèrent à y créer un lieu de culte. Arcachon était en effet distant de 4 kilomètres et seul un mauvais chemin dans la forêt y menait. A la même période, l’ordre des Dominicains cherchait un lieu de repos pour ses religieux âgés ou malades. La complémentarité était évidente et un accord oral fut rapidement conclu avec le prieur du couvent de Bordeaux. Dans cet accord, la société immobilière du Moulleau, créée par Grangeneuve et Papin, cédait un terrain de 6875 m2, les nouveaux propriétaires de parcelles versaient chacun une somme correspondant à 2% du prix d’achat de leur terrain à l’exception de l’architecte Louis Garros qui offrait ses honoraires de construction et de suivi du chantier.
Notre Dame des Passes fut la première œuvre importante de Louis Garros qui construisit, entre autres, de nombreux châteaux viticoles dans le Bordelais et le Biterrois. La construction du couvent fut menée en huit mois, la chapelle fut consacrée en grande pompe le 24 mai 1864 sous le nom de Notre Dame des Passes.
Devenue trop petite avec le développement du Moulleau, la chapelle fut agrandie en 1928-1929 sous la direction d’Alexandre Garros, fils de Louis. Restant dans le même esprit qu’à la construction, le financement fut assuré par une souscription auprès des fidèles du Moulleau. Les donateurs furent très nombreux, même des non-catholiques et des personnes aux revenus très modestes y participèrent, chacun donna selon ses moyens. Parmi d’autres actions, le duc Decazes fit visiter sa roseraie et les droits d’entrée en furent offerts.
Style
Louis Garros n’ayant, à notre connaissance, laissé aucun texte expliquant l’idée directrice de son projet, de nombreux avis ont été émis sur ce bâtiment. La thèse la plus citée rattache Notre Dame des Passes au style romano-byzantin, très à la mode en France à partir de 1860 après une période plutôt néo-gothique. Il s’inspire des églises traditionnelles grecques : celles-ci sont « à plan centré », on dit aussi « en croix grecque », sans véritable nef et sont surmontées d’une ou plusieurs coupoles. La décoration intérieure y est caractéristique avec des mosaïques et l’utilisation du doré, une couleur absente des églises romanes en France. Les églises romano-byzantines les plus connues en France sont Notre Dame de la Garde à Marseille, et le Sacré Cœur de Montmartre à Paris qui présentent une nef comportant des arcs en plein cintre comme dans l’art roman, un chœur surmonté d’une importante coupole, de la mosaïque et du doré typiques de l’art byzantin. Dans le cas de Notre Dame des Passes, la décoration intérieure confirme d’ailleurs l’hypothèse romano-byzantine. Le choix de ce style parait logique car il pouvait rappeler que les Dominicains étaient actifs au Moyen Orient depuis le 13ème siècle. Si l’on examine l’architecture, l’influence byzantine n’est pas évidente, le seul élément plausible est constitué par les clochetons bombés surmontant initialement les deux tours. Ces clochetons seraient censés rappeler les bulbes qui couronnent fréquemment les églises orthodoxes. Pourquoi donc les Dominicains et Louis Garros auraient-ils quasiment éliminé l’aspect byzantin pour l’extérieur ? surtout à une époque où les missions des Dominicains en Orient et le goût pour l’orientalisme étaient très développés.
On peut supposer qu’ils souhaitaient éviter tout rapprochement avec le casino mauresque qui venait d’être construit en Ville d’Hiver. Le casino incarnait en effet une image de plaisirs qui ne pouvait correspondre ni au souhait des Dominicains ni au projet de quartier familial des créateurs du Moulleau. Un style plus européen était sans doute préférable.
Architecture
Le transept et le chœur actuel n’existaient pas avant 1928 et ont été rajoutés dans le prolongement de la nef. Le toit vu d’avion montre bien la forme en croix latine de l’église.
D’un point de vue architectural, c’était une chapelle de style néo-roman, on parlait à l’époque de « roman fantaisie », présentant un plan quasi basilical avec une nef et deux bas-côtés mais ceux-ci sont fermés et abritent la partie conventuelle.
La sacristie, la cuisine, le réfectoire, la bibliothèque et des salles de réunion y sont au rez de chaussée, les chambres sont à l’étage de part et d’autres, les deux parties hautes communiquent entre elles grâce à une petite galerie située dans la nef du côté de l’entrée. La façade « brique et pierre », où la pierre souligne l’ossature de la construction, rappelle les villas pittoresques d’Arcachon ou le collège Saint Elme, autre édifice dominicain construit ultérieurement à Arcachon par Louis Garros. Notre Dame des Passes est certainement l’une des premières constructions dans ce style à Arcachon. Ne voyez là aucune origine étrangère, l’architecture « brique et pierre » est spécifique à la France. Elle apparaît à la fin du Moyen Age, s’épanouit de la Renaissance au 18ème siècle, on parle d’ailleurs souvent de style Louis XIII. Très apprécié par les amateurs de l’architecture « pittoresque » au 19ème siècle, ce style s’estompe ensuite rapidement. Les deux tours encadrant le portail donnent à l’édifice sa majesté. Les clochetons, qui étaient en mauvais état et d’une esthétique discutable, ont été supprimés en 1955, donnant à l’église un petit air toscan. Les arcs en plein cintre des ouvertures et les fenêtres géminées évoquent l’art roman. Le soleil couchant donne une teinte rouge du plus bel effet à l’ensemble.
Décoration
La chapelle initiale était couverte de fresques, ce qui était fréquent dans les églises romanes mais plusieurs éléments sont d’inspiration byzantine. Ces fresques de Louis-Aimé Bordieu, peintre toulousain peu connu, ont été complétées dans le même style lors de l’agrandissement de l’église par Jean-Baptiste Vettiner qui a décoré de nombreuses églises dans le Sud-Ouest. On remarque, dans des mandorles, la série des anges qui glorifient la Vierge et portent souvent un objet. Plusieurs comportent des allusions aux Dominicains et à leurs missions. En particulier, dans la partie gauche de la nef, la porte du ciel est représentée par une porte de la Cité Interdite de Pékin. Les mandorles existaient à l’époque romane, en particulier sur le portail des églises, mais elles sont nettement plus abondantes dans les églises byzantines. Les litanies inscrites à l’intérieur proviennent de la religion orthodoxe. Dans le transept nord, le blason porté par un ange est celui des Dominicains. Dans le fond du chœur, les deux groupes d’anges en prière seraient inspirés du Jugement dernier, une œuvre de Fra Angelico, peintre italien très réputé du 15ème siècle, dominicain par ailleurs. Dans le transept sud, une statue de Marie enceinte est de Gabriel-Jules Thomas, Grand Prix de Rome de sculpture en 1848. Ces « Vierges de l’avent » sont assez rares, il n’y en aurait qu’une vingtaine en France.
Restant encore une fois dans le même esprit depuis la construction, la rénovation de 2010 a été financée par une collecte, montrant que les habitants du Moulleau sont toujours aussi attachés à Notre Dame des Passes.
Francis Hannoyer